Frank Neveu filme la Chouette chevêchette dans la neige pour le film de Jean-Michel Bertrand : La vallée des loups.
Cadrage des « images complémentaires » de Chouette chevêchette dans la neige pour le film « La vallée des loups » de Jean-Michel Bertrand.
» Jean-Michel souhaitait que je filme une Chouette chevêchette dans une ambiance hivernale bien neigeuse. Ce qui soulevait deux problèmes. Le premier problème était de trouver une Chouette chevêchette en hiver. Autant, c’est assez rapide dans nos forets des Hautes-Alpes… en automne ou au printemps, car elle chante pour marquer son territoire, il suffit donc de se trouver sur les secteurs favorables au lever du jour et de se rapprocher des postes de chants.
En hiver c’est une autre paire de manches, car elles chantent très peu, voir pas du tout, c’est selon l’individu, son humeur du moment, la météo …. Et lorsqu’il neige à gros flocons, elle préfère rester à l’abri que de rejoindre ses postes de chant exposés aux intempéries, d’autant que son sifflement porte très peu quand il neige, alors à quoi bon chanter ? Ce n’est que mon avis. Sans compter que les spots que j’ai découverts l’été sont un peu moins faciles d’accès avec 1m de neige.
Une fois les postes de chant trouvés, il fallait qu’il neige à gros flocons et que la chouette se poste. Ce qui n’a pas été le cas une bonne partie de l’hiver et ce n’est pas faute de l’avoir cherché les jours neigeux.
J’ai réussi à la trouver plusieurs fois le lendemain d’épisodes neigeux, mais jamais sous la neige, jusqu’à ce jour du 5 mars.
Alors qu’il avait neigé une bonne partie de la veille et de que je n’avais rien vu une fois de plus, je remonte, la petite route qui monte au dernier hameau n’était pas encore déneigée à 6h30 du matin. Je mets les chaines qui cassent au premier virage, si bien que j’ai laissé la voiture encore plus bas que d’habitude, m’obligeant à chausser les skis de randonnée sur la route ajoutant 1h à la randonnée habituelle.
J’arrive sur place dans le secteur du poste de chant avec une heure de retard. La neige venait de s’arrêter de tomber.
Alors que je pestais contre la météo, j’entends ce petit sifflement feutré qui m’est si familier, puis plus rien.
Si bien que j’ai cru l’avoir rêver. Il y avait des mésanges et grimpereaux en pagaille. Aurais-je confondu ? Je lâche rarement « l’affaire » facilement et me mets donc à jumeler, scrutant chaque tache sombre sur les branches chargées de neige pendant une demi-heure: rien. Mes yeux pleurent avec le vent froid, et les jumelles s’embrument sans arrêt, mais je continue à chercher, me fixant encore une heure de recherche avant de changer de secteur. Je lâche un instant les jumelles pour avoir une vue d’ensemble et c’est à ce moment qu’une flèche passe en lisière de clairière en ligne droite. C’est elle ! J’en suis convaincu. Elle disparait entre les branches. Les mésanges alertent. Je m’approche de la zone bruyante et trouve la petite boule de plume posée sur une branche avec une proie dans les serres.
Elle me regarde et reprend impassible son dépeçage. La neige se remet à tomber. Les conditions sont top. Je sors précipitamment le matériel sachant que la chevêchette reste rarement longtemps au même endroit quand elle mange. Calage du trépied dans la neige profonde, cadrage, pas évidant, une branche devant, j’enlève les skis et me déplace 1m à droite, 1m à gauche, en arrière pour trouver mon emplacement, ça y est, j’ai trouvé, je pose le trépied qui s’enfonce d’un coup, les bourrasques poussent la neige dans l’objectif, je grommelle remet tout bien, mais je suis trop bas, le cadrage est très moyen, mais filme tout de même pour assurer au moins quelques images. La chouette part, j’ai un plan de 10 secondes dans la boite, c’est juste ! Je m’élance donc à sa poursuite de la poudreuse jusqu’à la taille, laissant le matériel derrière moi pour localiser la chouette, si je la perds de vue, je ne la retrouverais plus c’est certain. Je repère l’arbre dans lequel elle a disparu, j’en fais le tour et la retrouve proche du tronc, à l’abri des rafales.
Elle semble calée, je me repère avant de repartir chercher mon matériel. Je cherche où me positionner, mais la chouette est trop haute, je prends le trépied, une sangle, la camera est je monte sur le mélèze le mieux placé, mais un peu loin, me prenant au passage des paquets de neiges impressionnants. À 6m de hauteur, j’ai la chouette à ma hauteur, elle me regarde de ses grands yeux jaunes. Je fixe le trépied solidement aux branches pour cadrer stable, le confort est « sommaire », mais je peux travailler : ça tourne ! Les bourrasques sont tellement fortes que le mélèze qui me porte oscille vraiment, je n’arrive pas à faire un plan propre au téléobjectif et j’attrape le mal de mer ! À 2000m d’altitude dans les Alpes, un comble.
Je descends quelques minutes pour retrouver un plancher stable, inspire à fond. Je change d’objectif pour un plus petit télé et remonte illico, là c’est mieux, la chouette n’est pas bien grande, mais on la voit et l’ambiance de tempête de neige est vraiment là. La chevêchette se secoue, se prend des paquets de neiges, s’étire, bâille, rejette une pelote, regarde partout. J’enchaine les plans pendant 4h, du 4K du ralenti à 96 images par secondes, des suivis de flocons, des travelings, je tente tout ce qui est possible au vu des conditions, car la tempête enfle et la neige pénètre partout. Je redescends environ toutes les heures, quand j’ai des fourmis dans les pieds et pour me réchauffer en sautant sur place. À 15h, la chevêchette s’étire, regarde autour d’elle, repère quelque chose et part comme une bombe, en disparaissant dans le whiteout. Sans est fini, je ne cherche même pas, la visibilité est limitée à une dizaine de mettre. «
Extrait du journal d’un cameraman animalier, Frank Neveu
Retrouvez ici d’autres extraits du journal de tournage de La vallée des loups : Chouettes chevêchettes, Chouettes chevêchettes emancipation, Gélinottes, Bouquetins en hiver, Chouette de Tengmalm, Tétras lyre, Aigle royal, Chevreuils